DONG QICHANG

DONG QICHANG
DONG QICHANG

Dong Qichang fut pour la peinture des lettrés le pape d’une orthodoxie: c’est lui qui définit de façon définitive les dogmes de cet art et prononça contre les peintres professionnels et autres hérétiques une excommunication sans appel. Si déplaisant que fût le personnage (il a laissé le souvenir d’un arriviste rusé et rapace), l’influence qu’il devait exercer sur trois siècles de peinture Qing dont il commanda les principales orientations suffirait à justifier une étude approfondie de son œuvre. Au crépuscule des Ming, l’autorité de Dong est venue supplanter celle de Shen Zhou qui avait dominé les deux premiers siècles de cette dynastie; sans pouvoir rivaliser en sève et en vitalité avec le génie robuste de Shen, Dong a réussi à asseoir le prestige de son œuvre sur un important corps de doctrine esthétique. Son art sec et hautain est souvent d’un abord ingrat; Dong lui-même le voulait tel, ne recherchant pas les suffrages du vulgaire, mais seulement l’approbation d’une coterie d’initiés. Pourtant une analyse plus attentive de cette peinture en révèle la complexité paradoxale: plutôt qu’une aride imitation des modèles antiques, elle paraît bien représenter la première tentative pleinement préméditée et raisonnée d’une peinture libérée de la nature et du sujet, d’une peinture pure. Pour cette raison d’ailleurs, elle a trouvé un regain d’audience auprès des connaisseurs de l’époque actuelle.

«Égorgeons Dong Qichang»

Dong Qichang a falsifié sa biographie en ce qui concerne ses origines. Ce snob rougissait de ses obscurs antécédents paysans; une fois «arrivé», il déclara avec effronterie que sa famille «comptait des mandarins depuis dix générations». De même il s’intitula toujours natif de Huating, alors qu’il était en fait originaire de la préfecture voisine de Shanghai: il avait fui Shanghai à dix-sept ans pour échapper à la corvée et tint toujours par la suite à dissimuler cet épisode de jeunesse, qui aurait pu trahir ses origines plébéiennes. Arrivé à Huating, il est introduit (on ignore comment) dans la maisonnée d’un notable influent, Mo Ruzhong: cela sera la chance décisive de sa vie. C’est là en quelques années que l’adolescent pauvre reçoit le meilleur de son éducation littéraire, artistique et sociale, qu’il acquiert les goûts et les façons de l’élite lettrée. Non seulement Mo Ruzhong était un calligraphe distingué, mais surtout son fils, Mo Shilong, était une personnalité de penseur génial, d’esthète et de peintre, occupant le centre d’une petite coterie d’esprits élégants. Soit négligence, soit détachement, Mo Shilong, comblé de tous les dons, ne s’était guère soucié de «faire carrière»: la mort le surprit avant qu’il ait pu édifier une œuvre capable d’assurer sa survie auprès de la postérité. Celle-ci n’a guère retenu de lui qu’un nom, et la gloire qui semblait normalement promise à ses talents échut finalement à Dong Qichang. Il est certain que le plus clair des théories esthétiques de Dong – y compris et surtout la fameuse théorie «de l’école du Sud et de l’école du Nord» – fut simplement une reprise des idées de Mo; il y aurait cependant quelque injustice à réduire le premier aux dimensions d’un plagiaire chanceux: l’importance historique d’un artiste ou d’un penseur ne se mesure pas à des virtualités, mais à l’influence réelle qu’il a exercée sur son époque, et cette influence n’est pas simplement affaire d’idées neuves, mais tout autant d’expression, d’orchestration efficace de ces idées, et en même temps d’une capacité individuelle d’endurance et de survie. Dans ce dernier domaine, Dong se montra singulièrement doué: sa carrière officielle ne fut qu’une longue et glorieuse progression dans la dangereuse course aux honneurs. Son ascension, entrecoupée de quelques prudentes retraites, ne lui apporta pas le pouvoir réel qu’il convoitait (pour cela, du fait de ses origines familiales obscures, Dong ne disposait pas d’un réseau suffisamment étendu de relations influentes), mais du moins sa carrière lui procura un prestige considérable qui culmina avec sa nomination comme précepteur du prince héritier; surtout, elle lui permit d’acquérir une fortune immense. Cette opulence devait toutefois s’effondrer en catastrophe: en 1616, la population de Huating, excédée de son arrogance et de sa rapacité tyrannique (collectionneur de jolies femmes, il avait fait enlever une jeune servante d’une famille de la ville et avait fait persécuter à mort un écrivain local qui avait osé publier un petit roman le brocardant sur cet incident), se souleva et fit un feu de joie de ses luxueuses villas, les anéantissant avec les prodigieuses collections qu’elles contenaient. On vint à la curée d’aussi loin que Shanghai, Qingpu et Jinshan, au cri de «Qui veut du bois pour son feu, du riz pour sa marmite? Égorgeons Dong Qichang, et c’en sera fait de notre misère.» Cette émeute ruina Dong et porta un coup sévère à sa réputation. Son crédit ne commença à se rétablir que quelques années plus tard, avec l’accession au trône de son ancien pupille. Il mourut chargé d’honneurs à l’âge de quatre-vingt-un ans: dans un siècle où la vie politique était aussi corrompue et féroce, qu’il ait pu mener une aussi longue carrière officielle sans encourir de disgrâce témoigne plus en faveur de son habileté que de son intégrité.

Le calligraphe et le peintre

Avec Dong Qichang, la définition classique qui voyait dans la peinture «une excroissance de la calligraphie » prend sa pleine signification. Les sources de sa calligraphie sont composites et malaisées à définir (Dong a délibérément brouillé les pistes pour prévenir toute confrontation défavorable avec ses modèles); les exemples de Zhao Mengfu et de Mi Fu durent être déterminants pour ses années de formation; plus tard, il se mettra à l’école de Wang Xizhi et de Wang Xianzhi. Sa calligraphie est d’une élégance achevée, mais elle se trouve limitée par cette qualité même. Dong ne réussit jamais à se départir d’une joliesse qui nuit au naturel, et ce naturel, qui dans l’esthétique calligraphique constitue précisément la valeur suprême, lui échappe de façon d’autant plus irrémédiable qu’il le poursuit avec plus d’acharnement. Il reprochait au pinceau de Shen Zhou «une force qui l’emporte sur le charme»; la critique inverse pourrait lui être appliquée: son pinceau souple et gracieux reste relativement dépourvu de vitalité (qi ). Là où il est incomparable par contre, c’est dans sa façon fluide de jouer sur les diverses valeurs d’encre. Cette qualité habilement transposée dans sa peinture constitue une contribution d’une importance majeure au développement du langage pictural. Pour mieux faire ressortir ces nappes d’encre très liquide qu’il réussit à superposer sans qu’elles se confondent, il attache une importance toute particulière au choix de ses supports, ne travaillant que sur satin, soie au grain très fin ou variété luxueuse de papier glacé, tous matériaux qui requièrent du peintre un très exact contrôle de son encre (sur ces surfaces glissantes, un excès de force noie le coup de pinceau, tandis qu’une force insuffisante ne lui permet pas de tracer sa marque). Sa peinture s’inspire avant tout de Dong Yuan et de Mi Fu; dénué de la rigoureuse formation technique qui sous-tendait les improvisations de ceux-ci, il maquille ses carences structurelles sous l’ornement de l’encre (ainsi, dans sa peinture, la façon dont les feuillages viennent constamment cacher la pauvreté des «rides» de ses rochers et montagnes) et, pour détourner l’attention des critiques, il s’invente des antécédents mythiques: ainsi, il prétend prendre modèle sur Wang Xia plutôt que sur Mi Fu, sur Wang Wei plutôt que sur Dong Yuan; aucune œuvre des deux maîtres Tang ne subsistant plus, il a beau jeu d’invoquer leur autorité pour rendre compte de l’écart qui le sépare de Dong et de Mi. La théorie de l’école du Sud et de l’école du Nord n’est rien d’autre en fait qu’une tentative de rationalisation systématique de cette généalogie imaginaire de sa peinture. Cette théorie s’inspire à l’origine de l’histoire de la secte Chan – qui s’était divisée en deux écoles, celle du Nord recherchant l’illumination par une discipline graduelle, celle du Sud basant son approche sur l’intuition –, mais son application en peinture est tout à fait arbitraire, n’ayant là aucun support historique ou géographique; il s’agit plutôt de catégories critiques, l’«école du Sud» englobant tous les ancêtres de la peinture lettrée, tous les représentants d’un art aristocratiquement dégagé des exigences de métier, l’«école du Nord» groupant au contraire les professionnels et les peintres de l’Académie impériale.

Une postérité contradictoire

La force de l’influence exercée par Dong Qichang est surtout due à la remarquable cohérence de sa double démarche de peintre et de théoricien – sa peinture illustrant sa théorie, sa théorie justifiant sa peinture. Avec Dong, les tendances de la peinture lettrée atteignent un point culminant qui est aussi un point de rupture définitif entre les artistes et la nature; à cette nature objective, que le lettré n’est plus équipé techniquement pour interpréter, se substitue d’une part la culture , c’est-à-dire les peintures des Anciens à partir desquelles le lettré édifie éclectiquement sa création, et d’autre part l’inspiration subjective de l’artiste, qui, libérée de toute référence à une réalité extérieure, se développe désormais dans une pure autonomie. Ces deux faces de l’esthétique de Dong – qui dans son œuvre correspondent d’une part à ses grandes compositions préméditées, d’autre part à la spontanéité acide et désinvolte de ses feuillets d’album – lui assureront une double postérité à l’époque Qing: l’académisme éclectique des «quatre Wang» reprend son culte des modèles classiques, tandis que l’audacieuse originalité des grands individualistes (Bada Shanren, Shitao) dérive en droite ligne de sa conception de la peinture comme expression d’une pure subjectivité. Quand on cherche à opposer (souvent de façon arbitraire) ces deux courants de la peinture Qing, il ne faut pas oublier qu’ils ont trouvé leur source commune chez Dong. Que l’action de celui-ci ait pu simultanément ouvrir des voies aussi diverses à la peinture des siècles suivants est le signe le plus éloquent de son exceptionnelle importance historique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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